El Mate, d’une simple boisson indigène à un marqueur identitaire en Argentine
– Rachid MAMOUNI -.
Buenos Aires – Sous un soleil déclinant de septembre qui projette des ombres longilignes de cinq amis sur la végétation d’un parc de Buenos Aires, un récipient en bois de Palo Santo passe d’une main à une autre. Chacun sirote une gorgée avant de passer la fameuse boisson au suivant, dans un geste répété depuis des siècles à travers ces contrées.
Le récipient fumant du « Mate » partagé par des amis ou des membres de la même famille offre une scène qui fait immanquablement partie de la vie sociale, non seulement en Argentine, mais aussi en Uruguay, au Paraguay, en Bolivie, au Chili et dans le sud du Brésil.
« El Mate » est une infusion à base de feuilles et de tiges écrasées d’un arbre du même nom qui pousse dans l’immense bassin du Rio de la Plata, qui commence aux confins nord de l’Argentine et se jette dans l’Océan près de Buenos Aires.
Retour sur l’histoire d’une boisson emblématique en Argentine : la légende raconte que cette infusion au goût légèrement amer, avec une saveur herbacée intense, a été consommée pendant des siècles avant l’arrivée des Espagnols sur le continent.
Le récipient typique pour siroter « El Mate » est fait de citrouille séchée et vidée. Il est le favori des puritains. Chez les pragmatiques, il est fréquent de les voir prendre « Le Mate » dans des récipients en bois, en verre ou en aluminium.
Les premiers espagnols arrivés sur les berges du Rio La Plata ont vu dans cette habitude ancestrale une sorte de « vice » et ont décrété l’interdiction de consommation « El Mate » par les autochtones.
Les missionnaires jésuites dépêchés en précurseurs pour convertir les habitants du nouveau monde au christianisme se sont, eux aussi, prononcés contre cette infusion à cause de ses effets diurétiques. Ils ont dû faire marche arrière en voyant la fréquence avec laquelle les locaux quittaient fréquemment le temple, interrompant les longues cérémonies religieuses.
La valeur nutritionnelle du « Mate », ses propriétés rafraîchissantes et décongestionnantes et ses bienfaits économiques ont fini par convaincre les moines espagnols de cultiver à plus grande échelle les feuilles du « Mate ».
Dans la vie quotidienne des Argentins, « El Mate » occupe une place unique. Cette infusion est consommée à tout moment de la journée et il est fréquent de voir les Argentins déambuler dans la rue, ou vaquer à leurs occupations, avec un Mate entre les mains, et un Thermos d’eau chaude sous le bras.
« Prendre El Mate compense largement le besoin d’un repas ou d’un sandwich lorsque je n’ai pas le temps en journée », affirme sur un ton tranchant Rodolfo, concierge d’un immeuble du nord de la capitale.
Dans tous les bureaux de l’administration, dans les commerces et les banques et même dans les classes de cours, “El Mate” se fend dans le décor et se confond avec le mobilier.
Pour Vanessa, une employée dans un immeuble de bureaux du centre de la capitale, sa journée de maman de trois enfants démarre avec un Mate, sucré précise-t-elle, ajoutant que c’est une habitude qu’elle a acquise depuis l’âge de huit ans.
La centralité de cette boisson dans la vie des Argentins avait fait dire à un officier de l’armée de libération argentine que « El Mate a gagné plus de guerres que la poudre à canon », en référence à la capacité de ses hommes à résister à l’ennemi grâce aux propriétés énergisantes du « Mate ».
Dans le langage vernaculaire des Argentins, El Mate a donné lieu à un florilège d’expressions et d’adages valables pour d’innombrables situations : un « Mate froid » fait référence à l’indifférence, un « Mate doux » signifie une amitié sincère ou encore cet adage populaire “Pour les lève-tôt, un Mate est toujours de bon augure ».
Dans la littérature, EL Mate a inspiré la plupart des poètes argentins tellement il est ancré dans les habitudes quotidiennes des habitants de ce pays. De José Hernandez à Jorge Luis Borges en passant par Julio Cortázar, tous les monuments de la littérature argentine ont dédié des paragraphes de leurs œuvres à cette infusion populaire, très appréciée par leurs compatriotes.
En 2013, EL Mate a été déclaré « infusion nationale » par le Congrès en signe de considération pour cette boisson omniprésente et dès 2014, on a commencé à célébrer la « Journée nationale du Mate chaque 30 novembre.
Douze années auparavant, le Congrès argentin avait décidé de créer « l’Institut national du Mate », conçu comme un organisme pour promouvoir, encourager et renforcer la production, l’industrialisation, la commercialisation et la consommation du Mate.
Alors que le soleil disparaissait derrière les hauts immeubles qui longent l’artère principale de Buenos Aires, le préposé au Mate dans le parc de Buenos Aires continue de verser l’eau chaude dans le récipient en bois, en prend une gorgée et tend la coupe à ses amis.
Cette boisson qui a traversé les siècles et connu les vicissitudes de la colonisation, continuera de symboliser la convivialité, le partage et la complicité. Malgré sa saveur amère, chaque gorgée semble réinventer une connexion entre les adeptes du Mate apporter une brise de sérénité à l’instant présent.
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