Post-coronavirus: Cinq questions à l’économiste marocain Aomar Ibourk, Senior fellow au PCNS sur la reprise économique
Rabat – L’économiste, senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS) et professeur de méthodes quantitatives et d’économie sociale à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Aomar Ibourk, a accordé un entretien à la MAP sur les scénarii de reprise économique durant la période post-coronavirus. En voici la teneur:
1. Tout d’abord, comment évaluez-vous la réaction du Maroc face à la crise sanitaire du coronavirus ?
La réaction du Maroc face à cette crise inédite peut faire l’objet d’évaluation sur plus qu’un niveau. Sur le plan sanitaire, cette réaction a été claire. La santé des citoyens est la première des priorités. Les mesures de confinement constituaient alors le moyen par excellence pour protéger les citoyens et les mettre à l’écart d’un virus qui reste jusqu’à aujourd’hui mystérieux et entouré d’incertitudes.
Il a fallu alors mettre en place des mesures de soutien à la production et aux entreprises en difficulté, ainsi que les ressources nécessaires à la réussite du confinement. Je cite la suspension de la mobilité depuis et vers le Maroc, la création d’un Fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie du coronavirus, l’amélioration des infrastructures hospitalières, la sécurisation des revenus des travailleurs, le report de certains engagements des entreprises, la communication active, etc.
C’est au niveau de l’identification des cas et des réflexions sur le déconfinement des territoires que le Maroc a un effort à fournir. Une stratégie de confinement est plus efficace lorsque les tests se font à grande échelle et c’est ce que le Royaume souhaite faire.
Une approche territoriale permettrait, au lieu de geler l’activité sur tout le Royaume, une sortie graduelle via la libération de l’activité dans certaines provinces ou régions qui se conforment à des indicateurs tels que l’absence de cas confirmés sur une période de temps.
2. Cette crise a engendré un arrêt de l’activité de plusieurs secteurs, infligeant de lourdes pertes en termes de revenus et d’emplois. Quels sont les mesures les plus urgentes qui devraient être prises pour atténuer cet impact ?
Il faut souligner que l’impact de cette crise sur l’activité est une variable latente dans le sens où cet impact est tributaire, entre autre, de la durée du choc qui demeure incertaine.
Hormis la durée du choc, il y aurait des mutations dans les modes de production. Des mutations qu’on observe et qui persisteraient, affectant les technologies de productions et d’une série de dérivés (rendement, productivité, intensité en input, etc). C’est ce que nous enseigne la tradition des crises précédentes concernant les pratiques des entreprises.
Il y aurait également des reconfigurations de la division internationale du travail. La crise du coronavirus est en train de redéfinir ce qui est essentiel et stratégique à point de parler de souveraineté industrielle.
Des relocalisations s’affichent en perspective. Il n’est pas clair si elles se feront au profit d’une proximité régionale ou d’une proximité plus concentrée. Il n’est pas clair, non plus, si la reconfiguration de la division internationale du travail bénéficierait à certains secteurs ou non. Ce qui est sûr, c’est que son impact sur les secteurs ne sera pas uniforme.
Aux incertitudes susmentionnées s’ajoute le schéma, ou les schémas, de la reprise à l’international. En la présence de ces incertitudes et autres, le plus urgent à mon avis est de rassurer la population. Les efforts du Maroc dans ce sens sont indéniables.
Le Royaume a entrepris une gamme de mesures pour reporter ou/et rééchelonner certains engagements des entreprises à court et moyen termes. Ceci peut aider les entreprises en difficulté à survivre. D’autres mesures ont concerné le renforcement de la couverture contre le risque de change, ce qui est bien pour rassurer des catégories d’opérateurs.
Le gouvernement a émis aussi des signaux de prédisposition à contribuer à porter la croissance économique. Dans une économie de marché, c’est le profit espéré qui motive les agents à s’insérer dans la marche économique et à prendre des risques. Dans les circonstances actuelles, instaurer un climat de confiance ne peut être “laisser à l’initiative et à la nature” comme annonçait autrefois Fisher dont les analyses portent plus d’un éclairage sur des aspects précis de la situation.
Il faut encore discuter de la gouvernance. Elle devrait être le point d’ancrage fixe de toute mesure. Aussi, penser aux secteurs prioritaires et à comment leur consacrer la non neutralité de l’intervention étatique.
Voilà une analyse qui est loin d’être exhaustive pour les considérations discutées.
3. Durant cette période de crise, nous avons assisté à une montée sans précédent du télétravail. Comment voyez-vous l’essor du marché de travail marocain avec l’émergence de ce nouveau mode ? Est ce qu’il y aura des mutations de ce marché après le covid-19 ? Et dans quel sens ?
Comme nous l’avons dit au niveau de notre essai sur la question, le coronavirus a produit une expérience étonnante en matière d’adaptation du travail, des entreprises et de leur environnement aux modes de travail à distance.
Cette pandémie, qui a marqué un temps d’arrêt sur plus d’un plan, semble faire avancer le calendrier et modifier notre façon de vivre entrainant des changements qui risquent de devenir durables dans la manière dont les entreprises gèrent leurs travailleurs et dont ceux-ci travaillent.
Nous assistons à une restructuration des lieux de travail, une redéfinition des rôles, un besoin d’apprentissage rapide et des liens de confiance.
La pandémie de coronavirus oblige les organisations de certains secteurs aujourd’hui à se réunir et faire tout cela et plus encore. Ce virus est perçu comme un accélérateur de la mutation des modes de travail, une mutation qui se faisait autrefois sur la durée.
L’avenir du travail semble donc être en réécriture, sur plus d’un plan. Le télétravail matérialise la décentralisation de l’entreprise. Ceci demande une communication claire et de nouvelles pratiques de management basées sur des critères de productivité, mais surtout sur la confiance.
D’autre part, ceci peut avoir des impacts sur des postes budgétaires tels les charges locatives ou de déplacement de personnel à l’étranger.
4. Visiblement, le post-coronavirus fait déjà l’objet de grands débats et de réflexions au Maroc et partout dans le monde. D’après vous, comment peut-on redémarrer l’économie marocaine durant cette période ?
Il est difficile de se prononcer sur cette question compte tenu des incertitudes qui l’entoure. Le redémarrage est tributaire de l’amélioration de l’état sanitaire au niveau national et international. Il dépend également de la relance à l’international, eu égard aux taux de pénétration des échanges dans la consommation, l’investissement et la production. Ce redémarrage dépend finalement du comportement des agents nationaux.
Pour l’économie nationale, je confirme que l’instauration d’un climat de confiance est indispensable afin de faire inscrire les agents dans une marche de relance économique. Déjà des éléments en faveur de ce climat sont présent. Je souligne une fois encore l’engagement de l’Etat à ne pas laisser les choses à l’initiative et à la nature. Aussi, le report ou/et le rééchelonnement de certaines des engagements des entreprises à court et à moyen terme.
L’élévation des contraintes aux affaires s’avère également importante. A ce titre, je rappelle les constats du HCP qui considère que les questions d’accès aux facteurs au premier rang de ces contraintes, notamment le financement.
Il y a aussi le volet administratif, la fiscalité et l’accès aux marchés publics sous réserve des critères de la qualité et de la compétitivité. La visibilité des positions extérieurs est un autre élément qui vient renforcer la confiance des acteurs.
Le Maroc fait déjà preuve de vouloir maintenir cette visibilité. Sur ce qui est international, un monitoring de la situation et des développements sectoriels sont essentiels.
5. Quels sont les secteurs prioritaires à cibler pour réussir cette relance économique ?
L’impact de la crise associée à cette pandémie est loin d’être uniforme au regard des secteurs. Les plus touchés sont les secteurs qui reposent sur la mobilité des gens, sur leur rassemblement ou/et sur les liens d’approvisionnement ou d’acheminement depuis et vers l’étranger. Il en est pour le tourisme, le commerce et certaines industries.
En ce qui concerne les secteurs prioritaires, je pense qu’ils le sont tous. Enfin, il faut définir le critère de relance que l’on cherche à assurer. Est-ce qu’il s’agit de la création de valeur ? s’agit-il de l’emploi ? si, oui quel type d’emploi ? cherchons-nous une relance au niveaux des régions ou une relance disproportionnée au niveaux des territoires/régions ? cherchons-nous une relance d’horizon courte ou à plus long terme ?
Ce sont des questions parmi d’autres que l’on doit se poser avant de décider de ce qui est prioritaire. Pour chacune des questions, la littérature existante est riche en enseignement quant à la contribution sectorielle à la croissance, l’emploi et autres, selon la stratification retenue.
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