Colombie: la poursuite des assassinats des leaders sociaux jette le doute sur l’accord de paix

Colombie: la poursuite des assassinats des leaders sociaux jette le doute sur l’accord de paix

mardi, 25 juin, 2019 à 13:03

Par Mohammed BEN MESSAOUD

Bogotá- En dépit de ses déclarations rassurantes maintes fois ressassées, le gouvernement colombien semble incapable d’arrêter la spirale de violence visant leaders sociaux, défenseurs des droits humains et ex-combattants démobilisés de l’ancienne guérilla des Farc.

Les derniers chiffres publiés à ce sujet par l’Institut d’Études pour le développement et la paix (Indepaz) et le mouvement de gauche Marche patriotique sont révélateurs des doutes qui planent toujours sur le processus de paix dans ce pays d’Amérique du sud qui a payé un lourd tribut lors du conflit armé qui a impliqué pendant plus d’un demi-siècle guérillas, paramilitaires et forces de l’ordre, faisant 8,5 millions de victimes entre morts, disparus et déplacés.

Selon un rapport conjoint, publié récemment par Indepaz et Marche patriotique, 702 leaders sociaux et défenseurs des droits humains et 135 ex-combattants démobilisés des Farc ont été tués depuis 2016, date de la signature de l’accord de paix historique entre l’ex-puissante guérilla et le précédent gouvernement du président de centre-droit, Juan Manuel Santos (2010-2018), Prix Nobel de la paix.

La liste des victimes ne cesse de s’allonger mettant en danger l’accord de paix dans ce pays où le clivage entre opposants et défenseurs du processus de paix s’accroît de plus en plus.

Dernière victime en date de cette longue série macabre d’homicides : María del Pilar Hurtado (34 ans). Cette activiste sociale a été froidement tuée vendredi en face de son domicile à Tierralta, au sud du département de Córdoba (nord), par deux tueurs à gage ayant pris la fuite à bord d’une moto.

Deux de ses quatre enfants, âgés de 5 à 14 ans, ont assisté à cette scène d’horreur. La vidéo montrant le corps de María del Pilar gisant dans une mare de sang, aux côtés de l’un de ses fils affolé en pleurs, a suscité une vague d’indignation et d’émotion à travers toute la Colombie.

Depuis Paris où il était en visite de travail, le président colombien de droite, Ivan Duque, a immédiatement condamné sur Twitter ce “crime atroce”, appelant les autorités à prendre des mesures nécessaires pour arrêter les auteurs de ce meurtre “répugnant”.

M. Duque a de même donné ses instructions à son Conseiller pour les droits de l’Homme, Francisco Barbosa, pour se rendre à Tierralta afin d’”accompagner la famille de María del Pilar Hurtado”, tout en ordonnant la tenue d’un conseil de sécurité à cet égard.

À son tour, la vice-présidente Marta Lucia Ramirez a déclaré que le gouvernement mettra en œuvre tous les moyens nécessaires afin de punir les auteurs de ce crime.

Quant à Iván Cepeda, sénateur du parti de gauche Pôle démocratique et l’un des facilitateurs des négociations de paix avec les ex-Farc, il a estimé que les assassinats des leaders communautaires et défenseurs des droits humains visent “à saboter le processus de paix et les réformes qu’il apporte”.

Sans accuser aucune partie, Cepeda a indiqué que ces crimes qui ne peuvent être considérés comme des “actes isolés sont des attaques directes contre l’ensemble de la société colombienne”.

Face à cette situation inquiétante, le sénateur a appelé ses concitoyens “à sortir dans les rues pour exprimer le rejet de ces assassinats”, précisant que les membres de la Commission de paix du Sénat qu’il co-préside, se rendront cette semaine à Tierralta pour préparer un rapport sur le meurtre de la militante sociale.

A son tour, le parti Farc (Force alternative révolutionnaire commune), issu de l’ex-guérilla ayant le même acronyme, est monté au créneau après l’assassinat, le 17 juin, de deux ex-combattants démobilisés de l’ancien groupe rebelle.

Suite au meurtre d’Anderson Perez Osorio et Daniel Esterilla “tués par balles par des tueurs à gage” lors d’attaques menées dans les départements du Cauca et de Nariño (sud-ouest), le Conseil national de la Farc, la plus haute instance du parti, a tenu vendredi et samedi une “réunion d’urgence” à Bogotá au terme de laquelle il a publié un communiqué d’une virulence inouïe à l’égard du Gouvernement.

“Ces assassinats systématiques constituent une violation flagrante de l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, et relèvent par conséquent de la responsabilité de l’État et du gouvernement, qui sont constitutionnellement tenus de garantir la vie et la sécurité de tous les Colombiens”, lit-on dans le communiqué.

Accusant le gouvernement du président Ivan Duque, qui a promis lors de sa campagne électorale en 2018, de modifier l’accord de paix, de ne pas avoir l’intention de mettre en œuvre les mécanismes ainsi que les mesures convenues dans le cadre du Plan intégral de sécurité pour l’exercice de l’action politique, prévu par cet accord, la Farc a mis en garde contre un “bain de sang” visant ses militants.

Réagissant aux accusations de la Farc, le Haut-Conseiller pour la stabilisation et la consolidation, Emilio Archila, a révélé avoir tenu, sur ordre du président Duque, une réunion avec des représentants entre autres du ministère de la Défense, de la Police nationale, du bureau du Défenseur du peuple et des Services de renseignement au terme de laquelle il a déclaré qu’”aussi bien le Gouvernement que les entités de l’État accordent toute l’attention à la protection et à la prévention des assassinats” visant les ex-guérilleros des Farc.

Il a précisé qu’il a été convenu de la mise en place de 27 mesures d’amélioration et d’activation de la protection au profit des anciens combattants des ex-Farc, ajoutant que ces mesures seront présentées à M. Duque.

Selon M. Archila, les participants à cette réunion ont également souligné qu'”aucun effort ne sera épargné pour protéger les ex-guérilleros”, alors que le ministère de l’Intérieur a fait état d’un Plan visant à renforcer la protection des membres et des candidats de la Farc qui souhaitent se présenter aux prochaines élections régionales.

En vertu de l’accord de paix, le parti Farc occupe 10 sièges au Congrès qui lui ont été attribués d’office pendant deux mandats successifs (2018-2022).

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