Colombie : la Commission de la vérité sera-t-elle en mesure de panser les plaies du conflit armé ?
Par Mohammed BEN MESSAOUD
Bogotá – La Commission de la vérité, créée en vertu de l’accord de paix signé, en novembre 2016, entre le gouvernement colombien et la guérilla des Farc, a entamé la tâche titanesque de préparer un rapport destiné à jeter la lumière et clarifier, une fois pour toutes, ce qui s’est réellement passé lors du plus long conflit armé d’Amérique latine, qui a embrasé le pays sud-américain pendant plus d’un demi-siècle faisant plus de huit millions de victimes.
Le coup d’envoi des travaux de cette instance a été donné lors d’une cérémonie organisée, à la fin de la semaine dernière, à Bogotá en présence d’ex-chefs guérilleros, parmi lesquelles le leader du parti issu de l’ancienne guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), Rodrigo Londoño, et d’autres acteurs politiques issus de différents horizons.
La cérémonie était également marquée par la présence d’anciennes victimes, femmes et hommes, ayant subi dans leur âme et leur chair les affres du conflit armé qui a ravagé ce pays d’Amérique du Sud pendant plus de 50 ans, tels que Édgar Bermúdez, un ancien policier devenu infirme après avoir perdu la vue dans l’explosion d’une mine antipersonnel.
Étaient aussi présents des survivants de l’Union patriotique (UP), parti de gauche créé en 1985, dont la quasi-totalité des membres (4.000) ont été victimes d’une vaste campagne d’assassinat, imputée aux groupes paramilitaires d’extrême droite, aux narcotrafiquants, mais aussi aux forces armées.
Victimes et bourreaux ont pris la parole à cette occasion pour demander à la Commission de faire éclater la vérité et de jeter la lumière en toute objectivité sur l’une des périodes les plus sombres et dramatiques de l’histoire moderne de la Colombie.
“Nous réaffirmons à cette occasion notre engagement à répondre (…) à la clameur de millions de Colombiens qui, à l’intérieur ou de leur exil, réclament la vérité sur ce qui leur est arrivé lors du conflit, sur ce qui nous est arrivé en tant que société”, a déclaré le président de cette Commission, Francisco de Roux, un prêtre jésuite reconnu en Colombie pour son action en faveur de la défense des droits humains.
Sous une salve d’applaudissements, De Roux a ajouté que “la vérité doit être un bien public, un droit et un devoir inéluctable lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi des milliers de massacres, de disparitions forcées, d’enlèvements et de meurtres extrajudiciaires ont détruit la vie et la dignité humaines”.
Il a également souligné que la Commission de la vérité, qui au bout de trois ans doit soumettre son rapport final, a pour mandat de “faire la lumière” sur le conflit armé, de “rendre leur dignité de citoyens aux victimes” et de “reconnaître les responsabilités collectives, institutionnelles et de la société dans les violations graves des droits humains”, commises lors de cette période.
Ladite Commission doit de même établir les responsabilités collectives de l’État colombien, des gouvernements et autorités publiques, des institutions et organisations ainsi que des acteurs armés ayant pris part au conflit.
“La vérité a été étouffée à cause de la peur et la terreur, à cause des intérêts mesquins et de la corruption et des comportements inhumains qui sont devenus la règle”, a dénoncé le jésuite colombien, avant de promettre que “nous allons rechercher cette vérité dans la Colombie profonde (…) afin de promouvoir la non-répétition des abus qui persistent encore, et construire le pays”.
Pour sa part, Londoño, ancien chef de la guérilla dissoute et président du parti de la Force alternative révolutionnaire commune (Farc), a souligné que la commission est appelée “à remplir son rôle, celui de jeter les fondements d’une véritable réconciliation, basée sur la vérité mais pas celle de l’État ou des Farc, mais la vérité de la société colombienne”.
Abondant dans le même sens, la dirigeante indigène Aída Quilcue a fait remarquer qu’il était important pour les peuples indigènes de “connaître la vérité, mais une vérité débarrassée d’arrières-pensées discriminatoires et racistes”.
“Nous avons dû quitter nos territoires, nous avons été victimes d’homicides et de stigmatisation”, a-t-elle encore dénoncé.
La création de cette commission entre dans le cadre du Système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition, prévu dans l’accord avec les Farc, de même que la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), justice transitionnelle chargée de juger les ex-guérilleros et les militaires accusés de délits graves, ainsi que l’Unité de recherche des disparus.
Installée en mai dernier par l’ancien président, Juan Manuel Santos, la Commission de la vérité est composée de 11 membres (six hommes et cinq femmes), élus par des représentants des Nations unies, de la Cour européenne des droits humains, ainsi que de la justice colombienne et des universités publiques du pays.
Ayant un mandat de trois ans, cette instance doit rédiger à la fin de sa mission un rapport final sur le conflit armé qui, en 53 ans, a fait plus de 8,5 millions de victimes entre morts, disparus et déplacés.
Un accord de paix historique a été conclu en novembre 2016 à Bogotá entre l’ancien président de centre-droit, Juan Manuel Santos et le chef des Farc en vertu duquel l’ancienne guérilla a démobilisé ses 7.000 combattants et s’est transformée en parti politique sous le même acronyme.
Le parti de la Farc est représenté au Congrès (Parlement) par cinq députés et cinq sénateurs.
En vertu de l’accord de paix, les anciens chefs guérilleros, soupçonnés de crimes lors du conflit armé, doivent comparaître devant la Juridiction spéciale pour la paix.
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