Présence musulmane en Belgique : Entre réalité scientifique et idées reçues !
Par Morad Khanchouli
Bruxelles – L’imaginaire populaire a la peau dure ! Chercheurs et sociologues, en fins observateurs de la société qu’ils sont, ne cessent de le répéter. Entre la réalité scientifique chiffrée et la perception héritée, préconçue, l’écart peut parfois être flagrant.
Un décalage qui saute particulièrement aux yeux quand on aborde le sujet du nombre des musulmans en Belgique. A la question ‘à combien estimez-vous le pourcentage des musulmans dans la société?, les Belges donnent, en adoptant une posture qui ne laisse pourtant point de place à l’hésitation, des réponses qui n’ont rien à voir avec la réalité.
Alors que le nombre des musulmans représente, selon des études sérieuses, à peine 6pc de la population totale du plat pays, les Belges avancent le chiffre de 30pc. C’est ce que vient, en tout cas, de montrer une enquête du bureau d’étude britannique Ipsos Mori sur la perception de phénomènes sociaux et la composition de la population.
Les résultats de cette étude intitulée “Index of Ignorance”, et qui a d’ailleurs jauger le degré d'”ignorance” de 14 pays, sont bien révélateurs de cet éloignement de la réalité.
Mais s’agit-il là d’une méconnaissance, toute neutre, d’une ignorance généralisée, d’une perception individuelle ou d’un imaginaire populaire qui prend de plus en plus le dessus sur toute logique scientifique? Les interrogations en tout cas pullulent, même s’elles ne convergent pas souvent vers la même conclusion. Les chercheurs eux ne semblent pas surpris face à ce décalage réalité-imaginaire.
“Cela fait des années qu’on répète ce chiffre des 6pc, et pourtant ce n’est toujours pas intégré ! C’est dire combien la place des imaginaires est énorme”, réagit Brigitte Maréchal, islamologue à l’Université catholique de Louvain (UCL) et chercheure en relations musulmans-non musulmans en Belgique.
C’est d’autant plus que cet imaginaire est bien souvent entretenu, de manière délibérée ou inconsciente. Nombreux à cet effet sont les chercheurs qui avancent, dans le cadre de ce processus de raisonnement, des raisons liées tantôt au poids de l’actualité où le terme “islam” est omniprésent, tantôt aux facteurs socio-économiques, pas toujours favorables, ou encore à la confusion entre populations immigrées et musulmanes.
Sur ce dernier point, Brigitte Maréchal voit que “la combinaison de l’importance démographique de la population immigrée et d’une certaine injonction à la visibilité entraine une disparition de toutes les autres dimensions identitaires au profit de la dimension religieuse, qui n’est par ailleurs pas assez perçue dans sa diversité”.
D’autres chercheurs et sociologues considèrent que cette surestimation du nombre de musulmans en Belgique est à imputer aux représentations faites par les mondes politique et médiatique. C’est le cas du directeur du centre d’études de l’ethnicité et des migrations de l’université de Liège, Marco Martiniello qui déduit qu’à partir de ces représentations, le citoyen se construit une image réductrice de ce qui se passe dans le quartier ou la ville voisine.
Il apparait aussi clairement que la responsabilité des médias est bien engagée. Une étude de la fondation Roi Baudoin, qui avait réuni des hommes de médias, des chercheurs et des acteurs associatifs, musulmans et non musulmans, l’avait bien confirmée.
Elle avait conclu que même si ce n’est pas nécessairement aux journalistes de dire ce qui est bien et ce qui est mauvais, cela “ne signifie pas non plus que les journalistes ne soient pas maîtres de leur façon de transmettre les informations. Ils peuvent faire leur travail avec plus ou moins de conscience des enjeux, avec un souci plus ou moins présent de ne pas nourrir d’amalgames et de ne pas porter préjudice inutilement à une communauté”.
Mais enfin, cette ignorance est-elle si alarmante ? C’est pour le moins une source d’inquiétude, selon Marco Martiniello. Car, ‘cela contribue à monter les communautés les unes contre les autres et à provoquer des réactions d’autodéfense dans les groupes stigmatisés. C’est dangereux, surtout dans un contexte de crise économique où la tentation est grande de trouver un bouc émissaire”.
Il y en a, par contre, d’autres qui voient simplement dans ce décalage entre réalité et fantasmes un manque d’informations. La preuve est que, dans le cadre de l’étude d’Ipsos Mori, les Belges se sont trompés sur toute la ligne. Exemples : Les Belges considèrent que 46pc de la population sont des chrétiens, alors qu’ils sont en réalité 64pc. Les Belges pensent que 41 belges sur 100 sont âgés de plus de 65 ans là où ils sont en fait que 19. Ils évaluent à 31pc de la population les personnes sans emploi. Elles ne constituent que 8pc.
En attendant que les perceptions évoluent, que la science arrive à chasser les vieux démons de l’imaginaire, résumons : Combien représentent les musulmans dans la population belge ?. Réponse : 6pc. Et pas 30pc!.
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