Covid-19 et l’après-crise: Cinq questions à l’économiste brésilien Otaviano Canuto du Policy Center for the New South

Covid-19 et l’après-crise: Cinq questions à l’économiste brésilien Otaviano Canuto du Policy Center for the New South

lundi, 4 mai, 2020 à 13:53

Washington – L’économiste brésilien Otaviano Canuto, Senior Fellow au think thank Policy Center for the New South, a occupé pendant de longues années des postes de haut rang dans des institutions financières internationales servant comme vice-président et directeur exécutif de la Banque mondiale, directeur exécutif du Fonds monétaire international et vice-président de la Banque interaméricaine de développement. Dans cet entretien accordé à la MAP à Washington, l’universitaire qui a également été vice-ministre des affaires internationales au Ministère brésilien des finances, fait un diagnostic de la conjoncture économique dans le contexte de la pandémie du coronavirus, et livre son analyse des mesures à mettre en œuvre pour en atténuer les répercussions et préparer la relance.

Fort de cette expertise reflétée dans ses multiples ouvrages et publications, Otaviano Canuto livre aussi son regard de spécialiste en macroéconomie internationale et dans les affaires internationales, sur la gestion de la pandémie par le Maroc ainsi que sur l’Initiative de SM le Roi Mohammed VI pour promouvoir une solidarité africaine face à cette crise inédite.

1 – Face à la conjoncture actuelle décrite par le FMI comme la pire récession économique depuis la Grande Dépression, quelles sont les mesures les plus urgentes que les gouvernements devraient prendre pour atténuer l’impact de la crise ?

La crise du coronavirus est principalement un problème de santé publique, exigeant des politiques de confinement qui conduisent inévitablement à des chocs au plan économique. Une des principales raisons du confinement est la perception répandue que, compte tenu de la dynamique de l’infection – et du nombre correspondant de personnes ayant besoin de soins cliniques – les capacités locales de soins de santé risquent d’être submergées, avec des projections de décès plus élevés, dans un scénario d’inaction. Par conséquent, les politiques visant à aplanir la courbe pandémique et à gagner du temps deviennent vitales, qu’elles réduisent ou non à terme le nombre absolu de cas d’infection.
Mais la courbe pandémique génère une courbe de récession qui doit également être aplatie. La pandémie de coronavirus a entraîné à la fois des chocs négatifs sur l’offre et la demande. C’est là qu’intervient le rôle extraordinaire de l’État en tant qu’assureur en cas de catastrophe à travers l’octroi d’un soutien fiscal, y compris des ressources supplémentaires pour les systèmes de santé, des transferts monétaires aux personnes touchées par la crise, des allégements fiscaux, ainsi que des crédits disponibles à des conditions favorables aux entreprises vulnérables. Ces mesures d’urgence et temporaires, avec l’augmentation de la dette publique comme forme de financement, visent à atténuer les conséquences perturbatrices de l’arrêt temporaire mais profond et brutal de l’économie.

2- Comment évaluez-vous la réponse du Maroc face à cette crise sans précédent?

Je considère que la réponse du Maroc a été rapide et pertinente, ce qui en fait un modèle pour ce qui devrait être mis en œuvre par les autres pays en développement. Les dégâts ont été limités et la pandémie a été relativement maitrisée. Il convient de souligner la complémentarité des actions des institutions publiques, du secteur privé et de la société civile.
Sur le plan sanitaire, la priorité a été donnée à l’augmentation de l’offre d’infrastructures disponibles, compte tenu de la répartition inégale des moyens à travers le pays.

Au niveau économique, un fonds spécial avec des ressources correspondant à 3% du PIB a été créé afin de répondre à la fois aux chocs de l’offre et de la demande. En distribuant des aides aux ménages en situation précaire et en accordant des aides aux entreprises vulnérables, il est devenu possible d’entrevoir un atterrissage en douceur de l’économie et d’aplanir la courbe de la récession.

La recherche de financements extérieurs a également été entreprise rapidement, étant donné que le Maroc, comme d’autres pays en développement, a également été impacté par des chocs extérieurs. Les investissements directs étrangers, les revenus du tourisme et les envois de fonds sont en baisse. La politique monétaire a également aidé, en facilitant l’accès au financement pour ce qui est des entreprises confrontées à des besoins de trésorerie.

Une assistance sociale ciblée est une composante fondamentale du train de mesures, le défi étant d’améliorer l’identification des bénéficiaires potentiels.
3 – La pandémie a paralysé des chaînes d’approvisionnement mondiales avec une pénurie d’équipements médicaux notamment. Le Maroc a commencé à fabriquer ses propres ventilateurs et même à exporter des masques médicaux. Pensez-vous que cette crise puisse servir de rappel aux pays en développement l’importance de mettre en œuvre des changements structurels afin d’assurer une plus grande autonomie?

Tout à fait. La crise mondiale de coronavirus et la ruée sur les ventilateurs et autres équipements médicaux disponibles a hissé ces secteurs à un niveau stratégique pour tous les pays. En tenant compte de la forte probabilité d’événements de santé similaires à l’avenir, il devient clair à quel point il sera pertinent de compter sur la production nationale dans certains d’entre eux, du moins dans certaines régions. Cela peut également être l’occasion de développer des capacités locales de fabrication de manière plus efficace et à moindre coût. D’un autre côté, des politiques appropriées devront être mises en place.
4 – Dès le début de la crise, SM le Roi Mohammed VI a ordonné la création d’un fonds national d’urgence pour augmenter les dépenses de santé et soutenir les secteurs économiques et les ménages vulnérables. Pour faire face à la pandémie en Afrique, le Souverain a également lancé une initiative africaine. Comment voyez-vous les efforts du Maroc pour atténuer les impacts économiques nationaux et régionaux de cette crise?
L’Initiative africaine est un effort louable pour soutenir d’autres pays du continent. La crise frappe durement, en particulier les pays les plus pauvres, où les difficultés pour aplatir les courbes à la fois de l’épidémie et de la récession sont encore plus grandes, et les chocs externes ont été intenses. La bataille contre le nouveau coronavirus est globale, et soit nous réussirons à l’échelle mondiale, soit elle reviendra nous hanter tous.
5 – Enfin, comment tirer profit de la technologie à l’avenir? Quel signification a eu le coronavirus sur le futur du télétravail ou l’enseignement à distance?
Au Maroc, l’éducation s’adapte aux évolutions technologiques à l’ère du coronavirus, avec l’introduction de l’e-learning et la mobilisation des médias publics pour la diffusion des cours. Comme dans le reste du monde, le travail à domicile et l’enseignement à distance se sont avérés réalisables et on peut s’attendre à ce que certaines des pratiques actuelles adoptées de manière extraordinaire soient maintenues. Les déplacements physiques liés au travail diminueront, ce qui sera de bonne augure pour des considérations liées au changement climatique. L’accès à l’éducation peut également être élargi. Espérons que la crise actuelle du coronavirus ne sera pas une occasion ratée.

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