USA: Des manifestations en pleine pandémie, les experts s’inquiètent
Farouq El Alami
Washington – Alors que les Etats-Unis commencent à peine à relancer une économie en détresse mise à mal par le confinement, voilà que les manifestations de masse causées par la mort tragique de George Floyd sont venues attiser les craintes d’une nouvelle flambée des contaminations au Covid-19.
Des milliers de personnes battent le pavé chaque jour depuis plus d’une semaine pour manifester leur colère face au meurtre insensé de l’Afro-américain de 46 ans plaqué au sol par quatre policiers à Minneapolis (Minnesota), puis menotté, avant que deux d’entre eux ne s’agenouillent sur son dos, et un troisième sur son cou. Au bout de 8 minutes et 46 secondes d’agonie, Floyd succombe, suffoquant sous le poids des policiers.
La vidéo bouleversante de cette interpellation musclée a choqué une Amérique impuissante face à la multiplication des actes de racisme envers les Noirs. Sensibles à la colère légitime de la population, les responsables locaux et fédéraux ont évité d’interdire les manifestations à travers le pays, malgré les craintes croissantes des experts d’une hausse des nouveaux cas de coronavirus.
Les manifestations ont commencé la même semaine pendant laquelle les États-Unis, épicentre mondial de la pandémie, ont franchi le sinistre seuil des 100.000 décès, un chiffre qui frôle depuis la barre de 110.000 morts.
Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, a déclaré qu’il soutenait les droits des manifestants mais qu’ils avaient le devoir de se protéger et de protéger les autres.
“Vous avez le droit de manifester; vous avez le droit de manifester”, avait insisté Cuomo le week-end dernier. “Vous n’avez pas le droit d’infecter d’autres personnes, vous n’avez pas le droit d’agir d’une manière qui mettra en danger la santé publique.”
Cette semaine, le chirurgien général des Etats-Unis, Jerome Adams, a notamment déclaré au quotidien “Politico” qu’”il y a toutes les raisons de s’attendre à voir de nouveaux foyers et potentiellement de nouvelles épidémies progresser”.
Les responsables gouvernementaux et les professionnels de la santé ont largement évité de critiquer les manifestants pour leur participation à des rassemblements de masse, les encouragent plutôt à se faire tester.
“Une personne peut infecter des centaines d’autres”, a prévenu de nouveau jeudi M. Cuomo. “Si vous étiez à une manifestation, allez faire un test s’il vous plaît. Ici aussi, les manifestants ont un devoir civique”, a-t-il dit.
De leur côté, les responsables de la santé au Minnesota ont recommandé des tests Covid-19 pour tous les manifestants et les premiers intervenants pendant ces troubles sociales.
Dans cette même veine, UCLA Health viennent de publier des lignes directrices pour les manifestants et les forces de l’ordre afin d’éviter de contracter ou de propager le coronavirus. Le centre hospitalier universitaire recommande notamment une auto-quarantaine après une manifestation pour protéger d’autres membres du ménage, porter un masque pendant les manifestations et envisager d’utiliser des tambours plutôt que de chanter ou scander des slogans à voix haute.
Le rôle de la parole dans la propagation du virus est devenu de plus en plus un domaine d’intérêt pour les chercheurs. Après qu’un individu présentant des symptômes de la Covid-19 a assisté à une chorale dans l’État de Washington à la mi-mars pendant deux heures et demie, environ 86% des 60 personnes qui ont assisté à l’évènement ont été diagnostiquées plus tard avec le virus, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC).
L’agence fédérale a attribué la propagation du virus parmi ce groupe de personnes à un manque de distanciation sociale, de partage de collations et d’empilement de chaises qui était probablement “exacerbé par l’acte de chanter”.
Intervenant devant un comité de la Chambre des représentants jeudi à Washington, le directeur du CDC, Dr Robert Redfield a également souligné que l’utilisation de gaz lacrymogène par la police pouvait aider le virus à se propager.
Le Dr Redfield a expliqué que les gaz lacrymogènes, que les forces de l’ordre ont utilisés contre les manifestants dans plusieurs villes, peuvent provoquer la toux – un moyen efficace de propagation du coronavirus.
“Certainement, la toux peut propager des virus respiratoires, y compris Covid-19”, a affirmé Dr Redfield.
D’un autre côté, certains experts en maladies infectieuses ont été rassurés par le fait que les manifestations se sont déroulées à l’extérieur, affirmant que les sorties en plein air pouvaient atténuer le risque de transmission. En outre, de nombreux manifestants portaient des masques et, à certains endroits, ils semblaient éviter de se regrouper trop étroitement.
“L’air libre dilue le virus et réduit la dose infectieuse qui pourrait être s’y trouver, et s’il y a des brises qui soufflent, cela dilue encore davantage le virus dans l’air”, a déclaré au New York Times le Dr William Schaffner, expert en maladies infectieuses à l’Université Vanderbilt.
De l’avis général, il faudra attendre 14 jours après la fin des manifestations, qui ont toujours lieu, pour déterminer si une nouvelle vague de contagion aura bien lieu. En attendant, les Américains retiennent leur souffle.
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