Ramadan au Sénégal : Covid-19 ou l’intrus qui chamboulera des traditions ancestrales

Ramadan au Sénégal : Covid-19 ou l’intrus qui chamboulera des traditions ancestrales

jeudi, 23 avril, 2020 à 11:27

-Par Hassan AOURACH-
Dakar – Les mois se suivent et souvent se ressemblent, mais Ramadan sort du lot. Mois sacré de piété et de recueillement, il marque indéniablement le quotidien des Musulmans et demeure, dans un pays comme le Sénégal, un évènement très spécial et un important rendez-vous spirituel auquel on se prépare dans une ambiance ancestrale.

Qu’en est-il de l’édition 2020 ?

Avancer que le Ramadan sous Covid-19 ne serait pas particulier, ou croire que les habitudes des Sénégalais ne seront pas affectées, c’est se leurrer et refuser d’admettre une réalité amère et compromettante.

Ramadan qu’on s’apprête à accueillir sera affecté, et il le sera profondément. Rien ne se déroulera comme avant sous la menace de la pandémie du coronavirus qui pèse lourdement sur le monde, impacte affreusement les habitudes et dérègle les comportements.

Les artères de Dakar, en particulier le Plateau et la névralgique Sandaga, habituellement plongés dans une ambiance festive à la veille du mois sacré, vibrent cette année aussi au rythme de l’évènement, mais les apparences peuvent être trompeuses.

Comme à l’accoutumée les rues ne désemplissent pas, et en dehors du port de masque imposé comme barrière, les gens vaquent à leur occupations, les commerces s’activent et les ambulants envahissent les artères, mais les apparences sont trompeuses.

En effet, l’apparence est des plus normales, sauf que le cœur n’y est pas !, car derrière cet air insouciant se cache un profond ressentiment d’inquiétude, et il ne faut pas être devin pour le percevoir.

Touché par le Covid-19, le Sénégal qui a enregistré jusqu’à présent 442 cas positifs et six décès, est sérieusement affecté par la pandémie, et l’impact socioéconomique de la crise virale pèse sur les esprits et tape sur les nerfs des Sénégalais qui, certes fatalistes, mais redoutent le pire.

Outre le port de masque obligatoire, la batterie de mesures prises par les autorités du pays portent principalement sur l’interdiction des rassemblements, la suspension des cours, la fermeture des mosquées et lieux de cultes et l’instauration de l’Etat d’urgence, une mesure assortie d’un couvre-feu sur l’étendue du territoire national, de 20 heures à 6 heures.

Parmi toutes ces dispositions, le couvre-feu, entré en vigueur le 23 mars dernier, est la plus restrictive, la plus contraignante et la plus ressentie par une population pieuse dans sa forte majorité et habituée aux rassemblements de culte et aux veillées religieuses, en particulier en période de Ramadan.

La mesure a complètement chamboulé le quotidien des Sénégalais et il le fera encore plus durant le mois sacré.

En effet, et à l’instar de toute société musulmane, les Sénégalais aiment le “manger ensemble”, et cette habitude prend une dimension plus ample au Ramadan, et plus précisément lors du Ndogou (repas de rupture de jeûne en wolof).

Or, ces habitudes ancestrales seront difficiles, voire impossibles à respecter sous le couvre-feu et la limitation des déplacements imposés comme mesures barrières contre le Covid-19.
Mois de piété et de recueillement avant tout, Ramadan imprègne les longues nuits des Sénégalais qui veillent, à tout prix, sur l’accomplissement des prières collectives et la programmation de veillées et de rencontres religieuses pour la récitation et la déclamation du Saint Coran, ou encore pour le ressourcement à partir de la vie et des traditions du prophète Sidna Mohamed PSL.

Or, les fidèles qui ruaient, dès la prière d’Al Ichaa, sur les nombreuses mosquées et zaouiyas confrériques du pays, ne pourront plus le faire cette année.

“C’est inimaginable ! Ramadan sans tarawih, ni veillées religieuses, c’est un signe de fin des temps”, s’indigne Thiam, un fidèle tidjane qui s’est toujours arrangé pour se consacrer aux activités spirituelles durant le mois sacré.

Optimiste, Cheikh espère, quant à lui, que “la baraka de ce mois sacré fera éclipser très rapidement le coronavirus et nous permettra de renouer avec la prière collective”.

“L’Afrique est une terre bénie par le Tout-Puissant et le climat chaud fera barrage face au Covid-19 qui ne fera pas long feu parmi nous inchaallah”, a-t-il confié, sûr de lui, à la MAP.

Cet optimisme du Sénégalais lambda est loin d’être partagé par les spécialistes et les autorités du pays, préoccupés par la progression continue de la pandémie et inquiétés par la découverte de plus en plus de foyers communautaires dans le pays, notamment dans la capitale Dakar.

Face à la menace, le président Macky Sall qui espère ne pas arriver à un confinement total de la population, a récemment envisagé un réaménagement des horaires du couvre-feu, en le prolongeant de trois heures, de 18h à 07h au lieu de 20h à 06h.

Pour le Pr Moussa Seydi, responsable du département des maladies infectieuses de Fann (Dakar), le confinement général “est la bonne méthode, sur le plan scientifique”. “C’est ça qu’il faut faire, mais il faut tenir compte d’autres aléas. Les gens vivent au jour le jour, et la plupart sont dans un état très précaire”, a-t-il relevé dans la presse locale.

Ainsi, les signes n’inspirent pas confiance, et la réalité sera dure à vivre pour les Sénégalais qui n’oublieront sûrement pas Ramadan 2020, le premier où il leur sera interdit, à cause de l’intrus Covid-19, de vivre ensemble le Ndogou, de prier collectivement et de meubler les nuits en veillées religieuses.

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