Le “Made in China” dans le collimateur des Indiens
-Par : Driss Hachimi Alaoui-
New Delhi – En dents de scie, les relations entre l’Inde et la Chine s’efforcent d’évoluer dans un contexte régional tumultueux avant que l’incident frontalier qui a coûté la vie à une vingtaine de soldats indiens lors d’un affrontement avec des troupes chinoises ne vienne tomber tel un couperet sur l’avenir des liens entre les deux géants de l’Asie.
Si la tension militaire est à son comble entre l’Inde et la Chine, les liens économiques les unissant depuis des lustres ont également du plomb dans l’aile. La dernière mesure en date prise par New Delhi consistant à interdire 59 applications mobiles, liées à la Chine, vient envenimer encore l’atmosphère déjà tendue entre les deux grosses pointures de l’Asie.
Le ministère indien des Technologies de l’Information a justifié la décision en affirmant qu'”au vu des informations disponibles, ces applications se livrent à des activités préjudiciables à la souveraineté, à l’intégrité, à la sécurité et à l’ordre public de l’Inde”.
Les applications bannies incluent la plateforme populaire de courte vidéo TikTok et d’autres applications utilitaires telles que WeChat, SHAREit et Clean-master.
L’interdiction devrait donner du fil à retorde à plusieurs entreprises chinoises ayant placé de gros paris sur ce qui est l’un des plus grands marchés de services Web au monde avec ses 1,3 milliard d’habitants.
Dans cette même logique de boycott, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a supprimé mercredi son compte sur l’application de médias sociaux chinoise Weibo. Tous les messages, images et commentaires sur le compte Weibo du PM indien ont été supprimés, y compris ses photos avec le Président chinois, Xi Jinping.
“Après la décision du gouvernement d’interdire 59 applications chinoises, M. Modi quitte également la plate-forme chinoise Weibo … Un message fort sur le plan économique et au niveau personnel également”, a dans ce sens tweeté Laxmijanardhana Santosh, le secrétaire général du parti indien au pouvoir de Bharatiya Janata (BJP).
La montée du sentiment anti-chinois trouve son écho sur les réseaux sociaux où des Indiens ont appelé au boycott des produits chinois en signe d’hommage aux soldats tués mais aussi pour valoriser le “Made in India”.
Des entreprises chinoises basées en Inde ont reçu intelligemment ces signaux et procédaient déjà à absorber la grogne qui va crescendo.
A titre d’exemple, le fabricant chinois de téléphones portables “Xiaomi” a tenu à couvrir la marque de ses magasins avec le logo “Made in India” sur fond des craintes croissantes d’éventuels actes de vandalisme qui pourraient viser ses stores.
A noter que quatre des cinq principales marques de smartphones en Inde (Xiaomi, Vivo, Realme et Oppo) sont originaires de Chine et représentaient près de 76% des 32,5 millions de smartphones expédiés en Inde au cours du premier trimestre de 2020, selon les données de Data International Corporation (IDC).
Seule la Sud-Coréenne Samsung, figure parmi les cinq premiers après avoir été classée 3e avec une part de 15,6% des expéditions au cours dudit trimestre.
A la frontière, le temps où les produits chinois coulaient à flot semble révolu car désormais les autorités indiennes ont commencé à durcir les formalités de contrôle et de dédouanement des intrants chinois.
Des mesures qui pourraient affecter plusieurs secteurs d’activité en Inde qui dépendent largement des produits chinois, selon des industriels indiens, qui notent toutefois que les intérêts nationaux priment avant toute autre considération.
Selon des observateurs, le durcissement du contrôle au niveau des points de passage pourrait nuire également aux intérêts de l’Inde en ce sens que la chaîne de production de la troisième économie de l’Asie aura du mal à trouver à court terme une alternative aux intrants chinois forts de leur disponibilité et leur prix concurrentiel.
En fait, les appels de boycott viennent de tous bords. Un jour après l’incident meurtrier de Galwan, le ministère indien des Télécommunications a demandé à son entreprise publique de télécommunications, BSNL, de réviser son appel d’offres pour la modernisation du réseau 4G afin d’exclure les entreprises de télécommunications chinoises. Il a également recommandé aux sociétés de télécommunications privées de ne pas acheter d’équipements auprès des entreprises chinoises.
Les gouvernements fédérés se sont également joints à la campagne de boycott tels que le gouvernement d’Haryana (nord) qui a annulé deux contrats d’un coût global de 100 millions de dollars pour l’installation d’un système de désulfuration des gaz de combustion (FGD) dans les deux centrales thermiques d’Hisar et de Yamunanagar.
Idem pour Mumbai qui a annulé les offres de fabrication de 10 rames de tramway reçus par deux sociétés chinoises, notant que l’Autorité de développement de la région métropolitaine de Mumbai a décidé de passer le marché à des entreprises indiennes.
Par ailleurs, les services de police de l’Uttar Pradesh et du Madhya Pradesh ont émis des ordonnances demandant à leur personnel de désinstaller les applications chinoises de leurs téléphones.
D’aucuns voient en ces mesures de boycott une arme à double tranchant qui mettrait en péril et les intérêts de la Chine et ceux de l’Inde. D’autres considèrent que de telles actions contribueraient au redressement de la balance commerciale entre les deux pays vu que les importations de l’Inde en provenance de Chine ont totalisé 65,1 milliards de dollars au cours de l’exercice 2019-2020 contre 16,6 milliards USD d’exportations, soit un déficit commercial indien de 48,5 milliards USD.
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