Le conflit Pologne-UE sur l’indépendance de la justice va au-delà du simple débat législatif pour s’étendre à de lourdes sanctions financières

Le conflit Pologne-UE sur l’indépendance de la justice va au-delà du simple débat législatif pour s’étendre à de lourdes sanctions financières

mercredi, 12 février, 2020 à 13:12

-Abdelaziz Hayoun-

Varsovie – Il semble que le conflit entre la Pologne et la Commission européenne sur la réforme de la justice ne se limitera pas à sa dimension juridique, au débat strictement législatif et à la présentation par chacune des parties d’arguments et de preuves appuyant ses points de vue, mais il s’étendra à de lourdes et dures sanctions financières à l’encontre de Varsovie.

De nombreux journaux polonais et européens en particulier ont rapporté que la Commission européenne, avec le soutien de la Cour de justice européenne (CJUE), imposera de lourdes sanctions financières à la Pologne au cas où le pays ne se conforme pas à la décision de Bruxelles de suspendre la chambre disciplinaire de la Cour suprême, perçue par l’exécutif européen comme une instance destinée à saper l’indépendance de la justice et imposer le contrôle du pouvoir Exécutif sur le pouvoir législatif, de même qu’elle n’est pas conforme au Droit de l’UE et aux traités y afférents.

La Commission européenne pourrait imposer à la Pologne une sanction “sévère” de 2 millions d’euros par jour si Varsovie ne suspend pas immédiatement les activités de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême, régie par des lois promulguées la semaine dernière par le président polonais, Andrzej Duda, malgré une objection claire et directe de l’UE et de l’opposition.

Bien que la question des sanctions n’ait pas été officiellement divulguée par la CJUE et n’a pas fait de commentaires à ce sujet, après que les médias européens ont publié les détails des sanctions financières, des parties européennes officielles ont estimé que la prise de sanctions contre la Pologne est une question de temps et n’est pas exclue, et pourraient être annoncées par la Cour du Luxembourg une fois qu’elle aura reçu jeudi des “précisions” de la part du gouvernement polonais.

La décision de la CJUE est en attente jusqu’à la date limite du 13 février, date à laquelle le gouvernement polonais remettra sa réponse aux observations de la Commission européenne et de la Cour de Luxembourg concernant les dispositions relatives à la chambre disciplinaire de la Cour suprême et d’autres lois y afférentes.

Les observateurs polonais s’accordent à dire qu’après l’annonce de la décision répressive, la Pologne n’a qu’à s’y conformer, considérant que la sanction est “très dure et controversée”, et aura un impact négatif sur la gestion financière du pays voire sur la réputation de la Pologne, qui ne cesse de réaffirmer qu’elle est un Etat de droit qui respecte la Constitution et n’hésite pas à fournir les conditions et moyens législatifs pour garantir la séparation des pouvoirs, bien que les partis d’opposition considèrent que le gouvernement du parti “Droit et justice” (PiS) cherche par tous les moyens à contrôler le pouvoir législatif et l’action des juges.

Les observateurs ont de même souligné que la divulgation d’informations sur la décision contre la Pologne, qui a été publiée par de nombreux médias européens avant qu’elle ne soit officiellement annoncée par la Cour de Luxembourg, “est une première et une question non innocente” qui engendrerait de vives protestations de la part des autorités polonaises, comme elle serait une tentative des “lobbying” qui cherchent à créer des tensions entre Varsovie et Bruxelles et saper tous les efforts de leur rapprochement.

Toutefois, la question qui se pose est de savoir si la Pologne va suspendre la Chambre disciplinaire de la Cour suprême pour se conformer à la décision de la CJUE, ou bien défier la décision de deux institutions importantes du système de l’UE.

La Pologne ne va probablement pas obtempérer à la décision de Bruxelles et de la Cour de justice européenne, et cherchera de toutes ses forces à suspendre la décision des deux institutions et à maintenir le régime disciplinaire des juges, arguant que le domaine législatif des pays membres de l’UE “est une question interne qui ne concerne nullement Bruxelles”.

La Pologne cherchera également à utiliser la carte de la pression pour surmonter le différend à condition d’adhérer au plan environnemental de l’UE et faire d’autres concessions concernant certaines questions litigieuses avec Bruxelles, telles les questions de l’immigration et de sécurité, bien que de nombreux observateurs polonais excluent cette possibilité et de ce fait la Pologne sera obligée de mettre en œuvre cette décision.

Il ne fait aucun doute que le différend risque de durer longtemps, comme le laisse entendre le porte-parole du gouvernement polonais, Piotr Muller, qui a souligné, avec une grande confiance, que “la justice est une affaire des Etats membres de l’UE qui ont le droit de ne pas adopter les lois de l’UE”, et selon le gouvernement polonais, la Commission européenne n’a aucune base juridique pour intervenir dans le système de la justice adopté par le gouvernement de Varsovie.

Dans le même temps, M. Muller a affirmé que le gouvernement polonais conserve tous les arguments sur le non fondement de la plainte de la Commission européenne concernant des questions relatives à la Chambre disciplinaire de la Cour suprême.

Face à ces développements et divergences de vues, il sera difficile de prévoir l’issue de ce conflit juridique et politique complexe, qui pourrait avoir de graves conséquences pour la Pologne et l’UE elle-même, surtout si Varsovie va jusqu’à agiter la carte du départ de l’UE, ou ce qu’on appelle le “Polexit” à l’instar de la Grande-Bretagne qui a quitté l’UE, bien que la différence entre les deux pays soit vaste à tous égards.

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