Colombie: la multiplication des féminicides inquiète autorités et défenseurs des droits des femmes
-Par Mohammed BEN MESSAOUD-
Bogotá – Considérés comme un problème de société, les féminicides sont devenus un véritable fléau en Colombie suscitant l’inquiétude des autorités et des défenseurs des droits des femmes.
Le pays sud-américain a connu la semaine dernière deux nouveaux cas qui sont venus grossir la liste macabre des victimes, dont le nombre a déjà atteint 11 en janvier dernier, selon des chiffres de la Fondation “Feminicidios Colombia” (Féminicides Colombie).
La nouvelle de ce double féminicide, qui a coûté la vie dans la soirée du vendredi dernier à Bucaramanga, capitale du département de Santander (nord-est), à deux étudiantes de l’Université industrielle de Santander (UIS), a suscité une vague d’émotion et d’indignation dans le pays sud-américain.
Manuela Betancour Vélez et Angie Paola Cruz Ariza, âgées respectivement de 21 et 22 ans, ont été sauvagement tuées à coup de couteaux par le financé de l’une des deux étudiantes suite à une discussion houleuse.
Ce double crime a relancé le débat sur les violences dont sont victimes les femmes dans ce pays où les statistiques publiées par des institutions officielles et des ONG sur le nombre des victimes font froid dans le dos tout en renseignant sur l’ampleur effroyable de ce fléau.
D’après un bilan partiel fourni par l’Institut national de médecine légale, sur la période allant de janvier à octobre 2019, la Colombie a enregistré 799 féminicides qui font l’objet d’enquêtes de la part du Parquet général.
Entre janvier 2018 et octobre 2019, 1.595 femmes au total ont été victimes de mort violente, auxquelles s’ajoutent 790 cas de suicides, selon la directrice de cet institut, Claudia García.
Suite au drame de Bucaramanga, la vice-présidente de la république, Marta Lucía Ramírez, connue pour son engagement en faveur des droits des femmes, a exprimé son rejet de ce double homicide, appelant la conseillère présidentielle pour l’Équité de la femme, Ghiedy Gallo, à se réunir avec les autorités judiciaires compétentes afin d’accélérer les procédures à ce sujet.
“J’appelle tous les secteurs à se joindre au travail que nous menons, depuis le gouvernement national, dans les domaines du renforcement du rôle des femmes, de la recherche de l’égalité des sexes et de l’élimination de tous les types de violence contre cette catégorie de la population”, a déclaré Mme Ramírez, tout en appelant les citoyens et les victimes à dénoncer le “moindre indice de violence contre la femme”.
“Il n’y aura aucun répit dans nos efforts pour atteindre une tolérance zéro en matière de violence psychologique, physique, sexuelle ou économique contre la femme”, s’est-elle engagée, sans annoncer aucune mesure concrète.
Pour sa part, Juan Carlos Cárdenas, maire de Bucaramanga, où cinq féminicides ont été commis depuis le début de janvier 2020, a dénoncé le crime qui a coûté la vie aux deux étudiantes.
“Je regrette profondément le meurtre et le féminicide des deux jeunes étudiantes de l’UIS. Grâce à l’intervention rapide de nos autorités, le responsable a été capturé”, a déclaré l’édile, alors que les étudiants de l’Université ont organisé plusieurs sit-in pour réclamer que justice soit faite afin que ce double homicide ne reste pas impuni.
Réagissant à ce double crime, le ministère de la Santé et de la Protection sociale a prévenu que la violence de genre “est un problème de santé publique en raison des graves effets physiques, mentaux et émotionnels subis par les victimes”.
Bien que la Colombie ait promulgué en 2015 deux importants textes législatifs en vue de faire face à ce fléau, à savoir la loi 1257 dite de prévention et de sanction des formes de violence et de discrimination et la loi 1761 qui prévoit des peines de prison allant de 20 ans et 8 mois à 41 ans et 6 mois pour les auteurs de féminicides, les ONG s’activant dans ce domaine continuent de dénoncer l’indifférence des autorités et les peines allégées infligées aux mis en cause.
“Nous avons constaté un niveau élevé d’impunité, dans la mesure où bon nombre de féminicides ont été considérés comme des homicides (…)”, s’est indignée Gina Liz Pineda, directrice de l’Observatoire de la violence à l’égard des femmes du département de Santander, tout en appelant à poursuivre l’auteur du crime qui a coûté la vie aux deux étudiantes par les textes de loi relatifs aux féminicides.
Auparavant la représentante d’ONU Femmes en Colombie, Ana Güezmes, avait mis en garde, dans un entretien accordé à un journal local, contre l’impunité vis-à-vis des féminicides dans le pays sud-américain, déplorant le fait que sur l’ensemble des affaires de féminicides et de violence à l’égard des femmes faisant l’objet d’enquêtes judiciaires, moins d’un quart des cas finissent par être soumis à la justice.
Les cris d’alarme ne cessent de se multiplier pour attirer l’attention des autorités publiques sur les dangers de ce fléau. La directrice de l’Institut national de médecine légale a récemment révélé que 23.189 femmes sont à risque extrême, c’est-à-dire qu’elles peuvent être victimes de violences féminicides dans le pays sud-américain.
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