Au Brésil, 2è pays le plus touché au monde, le coronavirus divise la classe politique
Par Khalid ATTOUBATA.
Brasilia – Avec 330.890 cas confirmés et 21.048 décès dus au nouveau coronavirus, le Brésil est devenu, vendredi, le deuxième pays le plus touché au monde par une pandémie qui divise la classe politique du pays sud-américain. Les regards du monde sont désormais rivés sur le pays-continent de près de 210 millions d’habitant, où les divergences auraient fait perdre aux autorités un temps précieux pour venir à bout de la maladie.
Au moment où l’Europe se déconfine et certains pays maitrisent la courbe de contagion, les autorités brésiliennes, qui ont déclaré le premier cas le 26 février, ont revu la prévision du pic de Covid-19 pour juillet au lieu de juin, après l’accélération du nombre de cas et de décès ces derniers jours.
Ainsi, le Brésil est entré en “guerre” contre un ennemi invisible, qui a fait jeudi un nouveau record de 1.188 morts en 24 heures, alors que le président, Jair Bolsonaro, un fervent opposant aux mesures de quarantaine “aux répercussions économiques plus dévastatrices que le coronavirus”, cherche toujours à trouver un terrain d’entente avec les gouverneurs.
Et pour cause, le président brésilien est préoccupé par la situation économique, son principal cheval de bataille lors de la présidentielle de 2018. Le gouvernement vient de revoir à la baisse ses prévisions de PIB pour cette année, passant d’une croissance de 0,02% à une croissance négative de 4,7%.
Si cette prévision se confirme, la plus grande économie d’Amérique du Sud souffrira en 2020 “de la plus forte rétraction du PIB” de son histoire, selon un rapport publié par le ministère de l’Economie.
Par ailleurs, depuis l’éclatement de la pandémie au Brésil, environ 8 millions de travailleurs du secteur privé ont subi des réductions des heures et des salaires. Affecté également par la baisse drastique des prix du pétrole, le pays, qui comptait déjà près de 12 millions de personnes sans emploi avant le Covid-19, assure le versement d’aides financières de 110 dollars par mois à quelque 50 millions de travailleurs dans le secteur informel.
Sao Paulo, cœur battant de l’économie brésilienne et Etat le plus peuplé avec plus de 46 millions d’habitants, est le plus touché par la pandémie. Pendant plusieurs semaines, des échanges houleux battaient leur plein entre le président et le gouverneur João Doria, qui a reporté le déconfinement progressif prévu initialement le 11 mai.
L’Etat le plus industrialisé du Brésil examine même le renforcement des mesures d’isolement social après la hausse spectaculaire du nombre de victimes, mais aussi à cause du faible alignement des habitants aux mesures décrétées par le gouvernement local.
Les tergiversations se sont ensuite nourries de la décision de la Cour suprême qui a ratifié en avril l’autonomie des États et des municipalités pour décider des mesures d’isolement social.
Depuis, l’écart ne cesse de se creuser entre le président et les gouverneurs des Etats, notamment ceux de Sao Paulo et de Rio, Wilson Witzel, alors que des observateurs attirent l’attention sur la nécessité de préserver l’image à l’international du Brésil, qui a été déjà entachée par la gestion des incendies d’Amazonie l’an dernier.
La gestion du Brésil de la crise sanitaire et l’avancée rapide de la maladie ont déclenché des alarmes dans les pays voisins et aux États-Unis, dont le président Donald Trump a déclaré mardi qu’il prévoyait d’opposer son veto à l’entrée aux États-Unis d’étrangers du Brésil.
Toujours pour cause de divergences, le ministre brésilien de la Santé, Nelson Teich, a démissionné après moins d’un mois à la tête de ce département. Encore une fois, les mesures de quarantaine y étaient pour beaucoup.
L’utilisation de la chloroquine a été également au centre du désaccord entre le ministre et Bolsonaro, ce dernier exigeant d’utiliser le traitement à des stades plus précoces et à plus grande échelle. Le prédécesseur de Taich, Luiz Henrique Mandetta, avait été limogé lui aussi pour les même raisons.
L’insistance du président a finalement porté ses fruits. Mercredi, le ministre intérimaire, Eduardo Pazuello, a présenté un nouveau protocole qui étend l’utilisation de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine aux cas bénins.
Dans une interview accordée à la MAP, l’expert international brésilien, Altair De Sousa Maia a indiqué que “le Brésil est un cas sui generis dans la lutte contre la pandémie, car les gens n’appréhendent pas encore qu’on est en guerre”.
“Les divergences politiques ont profondément impacté la gestion de la pandémie et l’efficacité des mesures prises dans ce sens. La solution au Brésil devrait être à la fois juridique, politique et administrative”, a-t-il estimé.
Pour tenter de sauver ce qui peut toujours être sauvé, une réunion a été organisée jeudi entre le président et les représentants des gouvernements locaux, en présence notamment des présidents des deux chambres du Congrès.
Les différentes parties ont convenu d’un accord qui permettra le déblocage d’environ 21 milliards de dollars d’aides pour les Etats et municipalités pour lutter contre le coronavirus, contre un soutien à la décision prise par Bolsonaro de geler les salaires de tous les fonctionnaires fédéraux, régionaux et municipaux jusqu’à la fin de 2021.
Ainsi, après près de trois mois de l’éclatement de la pandémie, les parties prenantes semblent avoir trouvé un terrain d’entente pour redresser la barre, une tâche qui ne sera pas de tout repos eu égard aux proportions qu’a prises la pandémie dans nouvel épicentre sud-américain et mondial.
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