Assouplissement de l’état d’urgence au Sénégal : l’Etat cède-t-il à la pression sociale ?
-Par : Hassan AOURACH-
Dakar – Le président sénégalais Macky Sall a annoncé, en début de semaine, de nouvelles mesures assouplissant l’état d’urgence et portant notamment sur la réduction de la durée du couvre-feu, la réouverture des lieux de culte et la reprise des cours dans les classes d’examen.
Le couvre-feu nocturne sera désormais de 21 heures à 5 heures, au lieu de 20 heures à 6 heures, et les marchés et autres commerces, qui étaient astreints à des jours particuliers d’ouverture, seront ouverts six jours et resteront fermés un jour dédié au nettoiement.
Il sera également procédé à la réouverture des lieux de culte et à la reprise des cours, le 2 juin, pour les classes d’examen.
Survenant deux mois après la découverte du premier cas positif au Covid-19, cet assouplissement soulève des interrogations et alimente un débat quant à son opportunité, alors que la courbe des cas positifs est dans une phase ascendante avec un record de 177 nouveaux cas enregistrés lundi.
L’Etat aurait-il cédé à la pression sociale, et surtout religieuse, à un moment crucial marqué par l’ampleur du coronavirus qui a affecté, jusqu’à présent, 2105 personnes et causé le décès de 21 Sénégalais ?
Pour Pierre Hamet Ba, expert en intelligence stratégique, ces nouvelles dispositions assouplissantes “suscitent à la fois assurance, inquiétude et peur”. Car, explique-t-il dans les colonnes du quotidien +L’Observateur+, “il nous est impossible de concevoir qu’au moment où nous atteignons le pic de contamination (..), on décide d’alléger les mesures restrictives qui nous ont, jusque-là, été salutaires”.
Touché par le Covid-19, le Sénégal subit, à l’instar d’autres pays, les impacts socio-économiques de la pandémie. Ces impacts pèsent, de plus en plus, sur les esprits et tapent sur les nerfs des Sénégalais qui, fatalistes, ne digèrent pas les restrictions qui les empêchent, en particulier en ces périodes de Ramadan, de célébrer le mois béni comme il se doit, dans le partage, le recueillement et les prières collectives.
Outre le port de masque obligatoire, la batterie de mesures prises par les autorités du pays portaient principalement sur l’interdiction des rassemblements, la fermeture des mosquées et lieux de cultes et l’instauration d’un couvre-feu sur l’étendue du territoire national.
Parmi toutes ces dispositions, le couvre-feu, entré en vigueur le 23 mars dernier, est la plus restrictive, la plus contraignante et la plus ressentie par une population pieuse dans sa forte majorité et habituée aux rassemblements de culte et aux veillées religieuses durant le mois sacré.
La réouverture, à compter de mardi, des mosquées et autres lieux de culte fera, ainsi, le bonheur des millions de fidèles qui s’apprêtent à renouer avec l’ambiance de piété et de recueillement qui marquent les dix derniers jours du Ramadan.
Conscient de la menace que pourrait représenter un engouement massif pour les mosquées et les risques de contamination suite à la reprise des cours, le chef de l’Etat sénégalais a souligné, dans son message, que le gouvernement allait veiller à ce que la fréquentation des lieux de culte, des établissements scolaires et des autres espaces publics obéisse strictement aux mesures de distanciation sociale et aux gestes barrière, notamment le port obligatoire du masque et le lavage des mains.
S’exprimant sur la question, le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, a fait état de discussions engagées avec les chefs religieux sur les conditions d’ouverture, le nombre de personnes à l’intérieur des mosquées et les mesures barrières à respecter.
Si ces assouplissements sont de nature à satisfaire les fidèles ainsi que de larges couches de la société qui se sentaient lésées par les mesures restrictives, ils constituent, pour les spécialistes du secteur de la santé, une source d’inquiétude quant à la gestion de la lutte contre la pandémie.
Pour le professeur Massamba Diouf, enseignant-chercheur à la faculté de médecine de Dakar et épidémiologiste agrégé en santé publique, ces mesures d’assouplissement “risquent de conduire à un engorgement des hôpitaux du pays et à un débordement du personnel sanitaire”.
Ainsi, tout en allégeant le poids des restrictions pour de larges couches de la société sénégalaise, les nouvelles mesures annoncées par le chef de l’Etat ont ravivé les inquiétudes quant au maintien de la vigilance face à une pandémie qui fait des ravages partout où elle s’invite.
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