L’économie durant le post-covid: Quatre questions à Aomar Ibourk, Senior fellow au PCNS
Rabat – L’économiste, senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS) et professeur de méthodes quantitatives et d’économie sociale à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Aomar Ibourk, décortique, à la MAP, la situation économique au Maroc durant le post-Covid, les axes majeurs de la loi de finances rectificative 2020, ainsi que les secteurs prioritaires à cibler pour relancer l’économie marocaine.
Comment vous évaluez la situation économique au Maroc durant le post-Covid ?
Il est difficile d’évaluer comment les choses vont être, ou vont se dérouler au Maroc durant le post-Covid. Ce qui est sûr, c’est que la situation économique au pays va hériter des tendances qui se sont dessinées et qui se dessinent en ce temps de la covid-19.
Pour ce qui est de la production, les tendances indiquent une contraction conséquente des activités hors agricoles, d’environ 14,4% au deuxième trimestre 2020. A l’exception de l’agroalimentaire, de l’activité minière et de la chimie, toutes les activités hors-agricoles étaient concernés.
Dans ce contexte, le nombre d’entreprises en difficulté, au cours des trois premiers mois de la crise, s’est inscrit dans une tendance haussière comme en témoigne le nombre croissant d’employeurs faisant recours aux différentes mesures d’appui aux entreprises, notamment l’allocation d’une indemnité forfaitaire mensuelle au profit des salariés et des stagiaires sous contrat-insertion, atteignant près de 125.000 entreprises en avril contre 143.000 en Mai.
Après la décision des autorités de lever la quasi-totalité des mesures de confinement, certaines entreprises industrielles et tertiaires ont été en mesure de reprendre, plus ou moins partiellement, leurs activités.
A l’échelle nationale, il y a lieu de constater une baisse de la demande intérieure, en particulier la consommation des ménages (-6,7% au deuxième trimestre 2020, en glissement annuelle). En effet, selon le HCP, “cette baisse aurait, particulièrement, concerné les dépenses des ménages en biens manufacturés, notamment celles de l’habillement et d’équipement ainsi que celles du transport, de la restauration et de loisirs”. A cela s’ajoute les pertes observées d’emplois, le recours de certaines catégories au revenu de précaution, la baisse de la demande étrangère adressée au Maroc dans un contexte de réorganisation de la division internationale du travail.
La peur est de voir le choc négatif revêtir d’un caractère hystérétique, lequel est observé empiriquement sur le marché du travail national.
Et en quoi consiste ce phénomène ?
“L’hystérésis” fait référence à l’influence des chocs actuels sur les conditions d’équilibre futures du marché du travail. Elle implique qu’en absence d’intervention, le taux de chômage ne reviendrait pas à son niveau naturel à long terme et en l’absence de validité de la courbe de Phillips augmentée au Maroc, selon nos propres investigations, l’instrument budgétaire devrait être privilégié pour atténuer le chômage.
Autrement, le chômage, qui pourrait être en principe temporaire, persisterait, impliquant la hausse du nombre de travailleurs touchés par de longues périodes de chômage, particulièrement en cette période de récession sévère, où la capacité des entreprises à embaucher est considérablement affaiblie.
Récemment, la chambre des représentants a adopté le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l’année 2020. Quelle lecture faites-vous de l’adoption de ce projet de loi ? et comment la loi de finances rectificative (LFR) va-t-elle garantir la relance de l’économie ?
L’énoncé de LFR indique son articulation autour de trois axes principaux, l’accompagnement de la reprise progressive de l’activité économique, la préservation des emplois et l’accélération de la mise en œuvre des réformes administratives.
Pour ce qui est du premier axe, celui de l’accompagnement de la reprise progressive de l’activité économique, trois catégories de mesures sont énoncées par la loi rectificative. La première concerne l’accès des entreprises au financement, en particulier le besoin en fonds de roulement grâce à des crédits garantis, de faibles taux d’intérêt, un étalement des durées des remboursements ainsi qu’une éventuelle réforme de Caisse Centrale de Garantie.
Les conditions expliquées, d’accès et d’usage, varient selon la taille de l’entreprise. En principe, les entreprises sont tenues de préserver les postes d’emplois et de réduire le volume de leurs dettes d’au moins 50% des prêts accordés. S’ajoute aux financements en besoin de fonds de roulement le soulagement de la trésorerie des TPME créancières devant être payés par des établissement et entreprises publics, ainsi que la dynamisation de certains programmes, ou offres, comme “Tamwil”, “Intelaka” et “Damane Assakane”. Une enveloppe de 15 milliards de dirhams est prévue pour accélérer la redynamisation de l’économie nationale.
La deuxième catégorie de mesures consiste en la réaffectation des dépenses d’investissement aux priorités stratégiques, pour une enveloppe globale d’environ 182 milliards de dirhams, en baisse de 16 milliards relativement à ce qui est prévu par la loi de finance initiale.
L’effort d’investissement sera concentré, entre autres, sur la mitigation de certaines conséquences de la sécheresse, le report de certains nouveaux projets et la consolidation des projets en cours de réalisation notamment ceux ayant fait l’objet de conventions signées devant SM le Roi et ceux bénéficiant de financements extérieurs, tout en privilégiant les projets réalisés par des entreprises marocaines et utilisant des matériaux locaux.
La troisième catégorie de mesure touche à l’opérationnalisation des mécanismes de préférence nationale. Ces mécanismes comprennent en principe l’encadrement de la commande publique, l’augmentation de la quotité du droit d’importation applicable à certains produits finis de consommation.
Ces mesures aideraient certes, à soutenir l’offre et la demande, mais avec plus de ciblage et de coordination. Par exemple, le financement en besoin de fonds de roulement différencie les entreprises seulement par tailles, aucune indication n’est faite aux secteurs d’activités et aux types d’emplois à préserver.
Aussi, cette mesure est restrictive pour certains car les entreprises chiffrant plus de 10 millions sont contraintes d’allouer 50% du crédit au règlement des fournisseurs. De plus, elle est conditionnée par un seul ratio de performance : réduire le volume des dettes d’au moins 50% des prêts accordés. Cependant, nous savons que la situation financière des entreprises est loin d’être uniforme, ce qui implique que les ratios indiquant la viabilité de certaines ne sont pas forcément les mêmes pour les autres.
C’est sûr que le ratio de liquidité général est important comme mesure de solvabilité, mais la significativité de ce ratio ne peut être séparée des autres ratios financiers et de performance.
De même pour les tarifs douaniers, qui devraient être ciblés et s’inscrire dans le temps, avec une politique industrielle cohérente en termes de cibles et d’instruments tout en jouant sur la non neutralité de certains à l’image de la fiscalité et en améliorant la compatibilité de certains composants de l’environnement des affaires, y compris la formation, le foncier, etc.
Quels sont les secteurs prioritaires à cibler pour réussir cette relance?
Pour ce qui concerne les secteurs prioritaires, je pense qu’ils le sont tous. Enfin, il faut définir le critère de relance que l’on cherche à assurer. Est-ce qu’il s’agit de la création de valeur ? s’agit-il de l’emploi ? si, oui quel type d’emploi ? cherchons-nous une relance au niveaux des régions ou une relance disproportionnée au niveaux des territoires/régions ? cherchons-nous une relance d’horizon courte ou à plus long terme ? Ce sont des questions parmi d’autres que l’on doit se poser avant de décider de ce qui est prioritaire.
S’il y a un élément qui recoupe avec l’ensemble des critères précités, ça serait celui de la transformation de l’économie. Une transformation vers des produits à plus forte valeur ajouté, alliant productivité et emploi grâce notamment aux effets d’extension, de diversification et de compétitivité.
Une transformation qui devrait absolument se faire grâce à l’appropriation et la production du savoir et à l’innovation. Une transformation qui requiert un environnement des affaires propice et adéquat et ce n’est plus adéquat que des règles qui naissent du dialogue entre les différentes parties prenantes du monde scientifique, des affaires, des syndicats, des formateurs et bien évidemment de l’Etat.
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