Au Mexique, le coronavirus révélateur mais aussi accélérateur des inégalités sociales
Par Khalid EL HARRAK
Mexico – La propagation du coronavirus au Mexique a fait paniquer autorités et société compte tenu de la faiblesse du système de santé et de la fragilité économique du pays. Mais les conséquences socio-économiques de la pandémie pourraient être davantage dangereuses dans un pays où près de 50 % de la population vit dans la pauvreté et occupe des emplois informels.
Avec plus de 7.000 décès et 70.000 contaminations selon le dernier bilan officiel fourni lundi soir, le pic épidémique a été atteint au pays aztèque, où confinement et distanciation sociale constituent un luxe inaccessible pour une grande frange de la population dont la subsistance dépend du travail journalier et de l’informel.
Le confinement, bien que non obligatoire, ainsi que la diminution des activités économiques non-essentielles forcent aujourd’hui un grand nombre de Mexicains à choisir entre se risquer à chopper le virus ou de fondre davantage dans la précarité.
Le Mexique, comme ses voisins, est frappé de plein fouet par le cyclone du coronavirus aujourd’hui bien installé en Amérique Latine, où chaque jour apporte son lot de nouvelles préoccupantes.
Car, la pandémie touche là un pays en situation fragile où le tourisme, secteur clé de l’économie mexicaine est au point mort et accumule des pertes de l’ordre d’environ 4 milliards de pesos chaque jour, alors qu’un million de personnes activent dans le secteur ont perdu leur travail jusqu’à présent, selon le Centre d’investigation et de compétitivité touristique de l’université Anáhuac.
Dans ce contexte particulier, une étude récente de la banque BBVA prévient que le pays compterait entre 12 et 16,4 millions de nouveaux pauvres suite à la crise économique résultant de la pandémie de Covid-19 pour atteindre entre 58 % et 61,9 % de la population.
Ainsi, le pourcentage de la population pauvre au Mexique passerait de 48,8 % actuellement à 58,4 % à cause de la crise, tandis que la population en situation d’extrême pauvreté passerait de 16,8 % à 26,6 %.
En effet, précarité oblige, une part importante de la population vit de l’économie informelle, travaille dans la rue et n’est par conséquent pas disposée à rester chez elle.
Pour le professeur de Philosophie politique à l’université mexicaine autonome de l’État de Morelos, Juan Cristóbal Cruz Revueltas, la crise vient de déclencher “l’horizon inquiétant d’une fragmentation d’un système profondément marqué par les inégalités sociales”.
Au-delà du grave problème de santé qu’elle représente, l’épidémie du coronavirus a deux effets majeurs sur le Mexique. Elle donne un coup d’arrêt au projet du président Andrés Manuel López Obrador et, surtout, met le Mexique sur le chemin d’une pente inquiétante et dangereuse, a alerté l’universitaire mexicain.
Vu sous ce prisme, entre le dilemme de mourir de faim aujourd’hui ou du coronavirus demain, les travailleurs mexicains, notamment les marchands ambulants, ont fait leur choix contre la vaine tentative de la mairie de limiter leur activité.
Travailleurs pauvres possédant de très petites exploitations, ces marchands ambulants voient aujourd’hui leurs revenus fondre en pleine crise, aggravant leurs difficultés à soulager leurs familles subitement privées de revenus par la crise du coronavirus.
Bien avant que la pandémie ne vienne paralyser l’activité économique, la deuxième économie d’Amérique Latine avait frôlé la récession en 2019. Selon la première estimation de l’Institut national mexicain des Statistiques, l’économie mexicaine, la deuxième d’Amérique latine derrière le Brésil, a reculé de 2,4% au premier trimestre par rapport à la même période de l’année précédente.
Dans un contexte de précarité grandissante, la plongée d’une partie de la population dans la pauvreté a longtemps été évitée par le soutien financier indispensable de sa diaspora: les plus de 36 milliards de dollars transférés annuellement par les Mexicains vivant à l’étranger constituaient jusqu’ici une soupape de sécurité, nécessaire à la survie de leurs familles.
Majoritairement installée aux Etats-Unis, la diaspora mexicaine subit aujourd’hui, elle aussi, de plein fouet le chômage massif dans la première puissance mondiale. Les analystes prévoient une chute de cette aide financière de près d’un quart au cours des prochains mois.
Car, le Mexicain aime dire que lorsque l’économie américaine souffre d’une grippe, son voisin du sud écope d’une pneumonie: les 30 millions d’emplois perdus aux Etats-Unis vont inéluctablement se faire sentir dans les mois prochains, sur les ressources des migrants et affecter ainsi leurs transferts au pays.
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